Algérie: le président Tebboune nous fait la leçon

Le président algérien vient de donner un long entretien à L'Opinion, parce qu'il s'agit du journal dans lequel sont parues les révélations sur la Grande Mosquée de Paris et où écrit Jean-Dominique Merchet, celui des journalistes macronistes ayant écrit les articles les plus sévères sur lui... M. Tebboune veut ainsi montrer à ses troupes qu'il sait se faire respecter partout, même chez l'ennemi. Sur le fond, il confirme ne rien vouloir faire pour Boualem Sansal, posture qui ne peut que maintenir le blocage avec Paris. Une concession tout de même : il annonce bien vouloir reconnaître l'État d'Israël « le jour-même où il y aura un État palestinien ». Ce qui n'est pas exactement en ligne avec les autres pays les plus antisionistes... L’article Algérie: le président Tebboune nous fait la leçon est apparu en premier sur Causeur.

Fév 5, 2025 - 11:42
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Algérie: le président Tebboune nous fait la leçon

Le président algérien vient de donner un long entretien à L’Opinion, parce qu’il s’agit du journal dans lequel sont parues les révélations sur la Grande Mosquée de Paris1 et où écrit Jean-Dominique Merchet, celui des journalistes macronistes ayant écrit les articles les plus sévères sur lui… M. Tebboune veut ainsi montrer à ses troupes qu’il sait se faire respecter partout, même chez l’ennemi. Sur le fond, il confirme ne rien vouloir faire pour Boualem Sansal, posture qui ne peut que maintenir le blocage avec Paris. Une concession tout de même : il annonce bien vouloir reconnaître l’État d’Israël « le jour-même où il y aura un État palestinien ». Ce qui n’est pas exactement en ligne avec les autres pays les plus antisionistes. Analyse


Le 30 janvier dernier, le président Abdelmadjid Tebboune s’exprimait très longuement et très librement dans les colonnes de notre confrère l’Opinion.

D’emblée, l’invité nous met en garde contre une éventuelle rupture entre nos deux pays dont, constate-t-il, les relations sont pour le moins fort mauvaises, notamment depuis l’été dernier et la reconnaissance par Emmanuel Macron de la marocanité du Sahara Ocidental. « Je l’avais prévenu, dévoile le président algérien. Vous faites une grave erreur. Vous n’allez rien gagner et nous perdre. »

Depuis, la situation paraît effectivement s’être envenimée. Sur le sujet du contentieux mémoriel, en particulier. « Nous perdons du temps avec le président Macron. » « Plus rien n’avance, si ce n’est les relations commerciales. Le dialogue politique est pratiquement rompu. » Mais le président Tebboune se veut être un sage qui ne lâche pas le lien qui demeure, si ténu soit-il, comme en son temps, conte-t-il, le cheveu de Mu’awiya, le fondateur de l’empire Omeyades. C’était au VIIème siècle. Mu’awiya l’homme qui régna d’une main de fer sur El Andalus. Rappel historique qui, sans doute, dans l’esprit du chef de l’État algérien, ne doit rien au hasard.

Rente mémorielle inépuisable ?

Les relations sont mauvaises selon lui en raison de déclarations hostiles quotidiennes venant de chez nous. Eric Ciotti parlant de l’Algérie comme un « Etat voyou » et « le petit jeune du RN » (comprenez Jordan Bardella) évoquant quant à lui « un régime hostile et provocateur. » Face à cela, le numéro 1 algérien assure qu’il « n’insulterait jamais notre pays ». D’autres le font pour lui, il est vrai.

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À la question de savoir si le passé de la présence française ne constitue pas en fait une « rente mémorielle » pour les dirigeants et les médias algériens, l’interviewé se cabre, tombant des nues. « Quelle rente mémorielle ? » Et de poursuivre : «  La France commémore encore ses soldats et résistants tombés dans la guerre contre l’Allemagne, ses cinéastes font des films. Il y a encore des contentieux avec Berlin bien qu’il n’y ait eu que quatre ans d’occupation. »

Là encore, les mots ne sont pas choisis au hasard. Il s’agit de mettre sur le même plan l’occupation nazie et la présence française en Algérie,  et, mieux encore, d’en réduire la violence puisque celle que nous avons subie n’aurait duré que quatre années.

Les « analphabêtises » de Marine Le Pen

Pascal Airault, l’envoyé spécial de l’Opinion, évoque également, à propos des illégaux, la proposition de Marine Le Pen de procéder avec l’Algérie comme Donald Trump avec la Colombie. Plus d’octroi de visas, gel des transferts financiers, saisie des biens de personnalités algériennes en France. Réponse toute prête, on s’en doute: « Ce sont des analphabêtises, se lâche le locuteur. Les responsables du RN ne connaissent que l’utilisation de la force ». Cela reposerait sur « des restes chez eux de l’OAS », tout devant « se régler par la grenade et les attentats.  (…) Marine Le Pen veut-elle une nouvelle rafle du Vel’ d’hiv’ et parquer tous les Algériens avant de les déporter ? » Ainsi de nouveau, nous voici replongés dans nos années d’occupation, avec cette fois un parallèle plutôt pervers et sournois entre le traitement qu’il serait envisagé d’appliquer aux Algériens et celui infligé aux Juifs d’alors.

Même réponse sans surprise quand il est fait allusion à la proposition de Sarah Knafo de supprimer l’aide française au développement. « C’est de l’ordre de vingt à trente millions, balaie le président Tebboune. Le budget algérien est de cent trente milliards de dollars. » Sans dette extérieure est-il précisé.

Parfois la réponse n’en est pas une. Par exemple sur le refus du renvoi de l’influenceur Doualem. « Je ne veux pas imposer à la France des Algériens en situation irrégulière, plaide Tebboune. L’an passé nous avons délivré 1 800 laissez-passer consulaire. Mais il faut respecter les procédures. Retailleau a parlé de l’Algérie comme d’un pays qui cherche à humilier la France (…) » De plus sur cette affaire Doualem, « Il vient d’être révoqué par la justice française. » Là, on pressent que le président algérien savoure…

1 800 laissez-passer consulaire sur 10 000 demandes, lui fait-on observer. Parade digne d’éloges : « Beaucoup de clandestins se font passer pour Algériens (…) Mes compatriotes arrivent en France avec des visas pour étudier ou exercer comme médecins, avocats, ingénieurs… »

Quant à l’éventuelle dénonciation des accords de 68, on devine en réaction comme un haussement d’épaules : « Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies ». D’ailleurs, à entendre le président Tebboune, ces accords, révisés en 1985, 1994 et 2021, « historiquement favorables à la France en demande de main d’oeuvre » ne seraient plus qu’une coquille vide, une marotte pour extrémistes de droite.

Mauvaise foi

Le journaliste aborde ensuite le cas Boualem Sansal. Nous assistons alors à un assez grand moment de mauvaise foi : « Boualem Sansal n’est pas un problème algérien, est-il proféré sans rire. C’est un problème pour ceux qui l’ont créé. Jusqu’à présent, il n’a pas livré tous ses secrets. C’est une affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie (sic). Boualem Sansal est allé dîner chez Xavier Driencourt l’ancien ambassadeur de France à Alger, juste avant son départ pour Alger. Ce dernier est lui-même un proche de Retailleau qu’il devait revoir à son retour… » C’est là qu’on mesure à sa juste dimension la gravité du crime. Dîner avec Driencourt et fréquenter Retailleau.

De plus Boualem Sansal, argumente l’interviewé, n’est français que depuis cinq mois. « Il est d’abord Algérien depuis 74 ans. Il a eu un poste au ministère de l’Industrie. C’est un retraité algérien (…) Le parlement européen a voté une résolution pour sa libération, mais les parlements panafricain, arabe, islamique se sont déclarés solidaires avec l’Algérie. »

À l’objection que le détenu doit pouvoir bénéficier des droits de visite consulaire, qu’il soit Français de fraîche date ou non, la réponse est elle aussi pour le moins empreinte de désinvolture, voire de cynisme. « Il a subi un check up, il est soigné, il peut téléphoner régulièrement à sa femme, à sa fille ».

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Compte tenu de son âge, de son état de santé, ne pourrait-il pas bénéficier de mesures de grâce ? La réponse est là encore magnifique : « Je ne peux présager de rien ».

Quant aux factures impayées dans les hôpitaux français, la somme ne serait que de deux millions cinq cent mille euros, et l’Algérie n’aurait de cesse, depuis trois ans, de demander qu’une réunion ait lieu avec les autorités françaises compétentes. Sans succès, déplore le président.

Sur la grande mosquée de Paris, nous ne sommes pas davantage éclairés, si ce n’est que Retailleau (décidément très en vue à Alger) serait à la manœuvre pour faire virer l’actuel recteur. La preuve, il enquêterait sur ses biens. D’ailleurs, le jugement sur notre actuel ministre de l’Intérieur – dont on pense qu’il doit hanter les nuits de bien des dirigeants outre Méditerranée – tient en une formule lapidaire : « Tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu des déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays ».

Au moins les choses sont claires. L’Algérie a un ennemi. Il se nomme Retailleau.  

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Longue – fort longue interview

À quand la même latitude de libre parole offerte à un président français dans un journal algérien ?

La question de Gaza est évidemment posée. Pour le pouvoir d’Alger, la voie est claire : dès qu’un Etat palestinien aura vu le jour l’Algérie normalisera ses relations avec Israël. « Notre seule préoccupation, c’est la création d’un Etat palestinien » martèle le résident du palais d’El Mouradia qui annonce d’ailleurs qu’il ne compte pas s’éterniser au pouvoir, assurant qu’il respectera la Constitution de son pays. Une Algérie qu’il laissera, revendique-t-il – c’est sa fierté –  à un niveau de prospérité jamais vu, jouissant d’une santé économique à nous faire pâlir d’envie. Et qui – pourquoi pas ? – pourrait ouvrir la voie à l’inversion du flux migratoire entre nos deux pays. Après avoir lu les propos du président Tebboune, on se prend volontiers à rêver. Au moins sur ce point.

  1. https://www.lopinion.fr/politique/la-grande-mosquee-de-paris-et-le-business-des-produits-halal-en-europe ↩

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