Espagne – 7 ans de socialisme et la justice mise au pas

Acculé par les scandales de corruption, le Gouvernement socialiste de Pedro Sanchez a désigné comme ennemi une justice trop indépendante à son goût. Une érosion supplémentaire de l’Etat de droit en Espagne qui n’intéresse pas Bruxelles. Du lawfare au plan de « démocratisation » de la justice Développé par la gauche latinoaméricaine, le discours du lawfare est […]

Fév 5, 2025 - 20:12
 0
Espagne – 7 ans de socialisme et la justice mise au pas
Acculé par les scandales de corruption, le Gouvernement socialiste de Pedro Sanchez a désigné comme ennemi une justice trop indépendante à son goût. Une érosion supplémentaire de l’Etat de droit en Espagne qui n’intéresse pas Bruxelles.

Du lawfare au plan de « démocratisation » de la justice

Développé par la gauche latinoaméricaine, le discours du lawfare est une rhétorique complotiste consistant à considérer que toute forme de contrôle exercé par la justice contre un dirigeant politique de gauche est un coup d’État déguisé des forces conservatrices. Hugo Chavez et Nicolas Maduro (Venezuela) Lula da Silva (Brésil), Cristina Fernandez de Kirchner (Argentine) ou Evo Morales (Bolivie) ont été quelques-uns des dirigeants à s’en être emparés pour se défendre d’accusations de corruption.

Il était logique que ce discours soit importé en Espagne par Podemos, parti populiste et anticapitaliste ; il est problématique que les socialistes se le soient approprié alors qu’ils étaient rangés du côté de la démocratie libérale depuis la transition démocratique espagnole.

L’entourage politique et familial de Pedro Sanchez est aujourd’hui assailli par les affaires de corruption :

  • José-Luis Abalos, ancien bras droit de Pedro Sanchez, a notamment été mis en examen pour ce qui est connu comme le scandale Koldo, une trame de corruption par la perception de commissions illégales dans le cadre des achats de masques durant la pandémie ;
  • Dans l’affaire dite des hydrocarbures, l’organisation criminelle poursuivie pour fraude fiscale et corruption aurait bénéficié de liens avec des membres hauts placés du Gouvernement socialiste ;
  • La femme de Pedro Sanchez, Begoña Gómez, a été mise en examen pour trafic d’influence et corruption. Elle se serait servie de la position de son mari pour créer et diriger un Master universitaire en Transformation sociale compétitive (sic) alors qu’elle ne possède aucun diplôme universitaire. Son poste de directrice lui aurait permis de signer des lettres de recommandation au bénéfice d’entreprises pour que celles-ci obtiennent des contrats publics et subventions. Enfin, elle aurait enregistré à son nom un programme informatique développé par l’Université pour sa formation.
  • Le frère de Pedro Sanchez, David Sanchez, a été mis en examen pour détournement de fonds, trafic d’influence, prévarication et fraude fiscale. Il est suspecté d’avoir bénéficié d’un emploi fictif de responsable du spectacle vivant au sein du Conseil provincial de Badajoz, gouverné par les socialistes, et de ne pas avoir payé d’impôts sur les revenus pour cet emploi ;
  • Avec la permission de Pedro Sanchez, une rencontre a été organisée à l’aéroport de Madrid entre José-Luis Abalos, son bras droit, et Delcy Rodriguez, vice-présidente vénézuélienne interdite d’entrée dans l’UE en raison de ses crimes. Une vingtaine de valises au contenu inconnu auraient été introduites sur le territoire espagnol sans faire l’objet de contrôles ;
  • Des députés socialistes auraient participé à de grandes fêtes financées par le socialiste Juan Bernardo Fuentes, mis en examen pour extorsion et corruption économique.

Plutôt que de démissionner, Pedro Sanchez se prétend victime de lawfare et a entrepris depuis plus d’un an de remettre en question la probité de la justice espagnole. Il a notamment porté plainte pour prévarication à l’encontre du juge qui instruit l’enquête pour trafic d’influence contre sa femme et l’a accusé auprès de la presse de manquer à son devoir d’impartialité. La multiplication de ces attaques par l’ensemble du Gouvernement a valu de dures critiques de la présidente de l’organe de gouvernement des juges, pourtant proche des socialistes : « Les reproches ad personam ou l’attribution d’intentions cachées aux juges qui prennent des décisions qui ne conviennent pas à certains intérêts sont totalement déplacés », a-t-elle asséné.

Cette offensive prend désormais la forme d’un projet gouvernemental de réforme de l’accès à magistrature, afin de la « démocratiser ». Aux yeux du ministre de la Justice, la difficulté du concours aboutit à ce que les juges soient conservateurs. Le projet de réforme, qui abaisse le niveau d’exigence des épreuves et en diminue la transparence, a provoqué une levée de boucliers chez les magistrats ainsi que de vives critiques de la présidente de l’organe de gouvernement de la justice. A ce titre, il convient de rappeler que les tentatives gouvernementales de modifier la composition de la magistrature étaient au cœur des griefs la Commission européenne contre le PiS en Pologne.

Enfin, il y a lieu de mentionner la proposition de loi socialiste visant à restreindre l’accusation populaire, mécanisme procédural espagnol permettant à tout citoyen espagnol de mettre en œuvre l’action publique dans le cadre d’un procès pénal. L’objectif est ainsi de restreindre la possibilité pour les associations de lancer des poursuites pénales à partir de révélations faites par la presse, les socialistes étant submergés de procès pour corruption lancés via ce mécanisme.

 L’indépendance du Ministère public plus affaiblie que jamais

Les années de gouvernement socialiste sont également marquées par un affaiblissement inédit de l’indépendance du Ministère public. Pour remplacer l’ancienne ministre socialiste Dolores Delgado, qui posait déjà un problème au regard de l’indépendance requise à ce poste, Pedro Sanchez a nommé au poste de Procureur général Alvaro Garcia Ortiz.

Ce dernier a été mis en examen pour révélation de secrets. Il est suspecté d’avoir fait fuiter à la presse, au service du Gouvernement, les données confidentielles relatives au redressement fiscal de l’entreprise dirigée par le compagnon de la présidente de la Communauté autonome de Madrid, Isabel Diaz Ayuso. Les socialistes avaient utilisé cette information pour salir l’opposante principale de Pedro Sanchez, dépeinte par le Gouvernement et ses relais médiatiques comme une fraudeuse elle-même. La manœuvre fut découverte très facilement, la ministre des Comptes public n’ayant pas pu s’empêcher de mentionner l’article faisant état du redressement alors secret… plusieurs heures avant sa publication !

Convoqué par le juge d’instruction pour une déposition, Alvaro Garcia Ortiz a refusé de répondre à ses questions. Il l’a ensuite accusé d’agir de manière « précipitée », en « partant d’une certitude qui lui empêche d’atteindre la vérité » et d’avoir violé ses droits fondamentaux en ordonnant la perquisition de son bureau et de son téléphone. Ces accusations sont extrêmement graves au regard de la mission de défense de l’indépendance de la Justice dont est chargée le Ministère public, mais pourraient s’expliquer par une stratégie de défense, sur laquelle nous reviendrons, qui pourrait passer par le Tribunal constitutionnel.

Le noyautage réussi du Tribunal constitutionnel par les socialistes

Bien évidemment, le Tribunal constitutionnel espagnol n’échappe pas à ce processus de politisation de la Justice. Son actuel président, Candido Conde-Pumpido, ancien Procureur général nommé par le président socialiste José-Luis Rodriguez Zapatero, est un magistrat connu pour sa proximité avec le Gouvernement.

Le discrédit de l’institution s’est à nouveau manifesté par une décision de juillet, dans laquelle les magistrats suprêmes ont annulé un arrêt du Tribunal suprême – équivalent espagnol de la Cour de cassation – condamnant plusieurs anciens dirigeants socialistes pour avoir détourné plus de 700 millions d’euros d’argent public en Andalousie, ce qui constitue à ce jour le plus grand scandale de corruption de l’histoire espagnole. Le recours en vertu duquel l’arrêt du Tribunal suprême a été annulé permet au Tribunal constitutionnel de corriger une décision de justice lorsque sa motivation est « illogique ou indiscutablement extravagante ».

La rédactrice de la décision, Inmaculada Montalban, est une magistrate proche des socialistes et a été décorée par un des condamnés, José Antonio Griñán. Ainsi, une Cour constitutionnelle indiscutablement politisée, composée d’une magistrate qui aurait dû s’abstenir en raison de son manque évident d’impartialité, a réprouvé la motivation juridique des plus importants magistrats du pays et gracié en catimini plusieurs dirigeants socialistes.

Certains analystes jugent que la défense du Procureur général, qui accuse le juge d’instruction d’agir de manière « précipitée » et de violer ses droits fondamentaux, permettra de justifier une prochaine intervention du Tribunal constitutionnel en sa faveur. Espérons ne pas en arriver là, car si les juges constitutionnels graciaient le Procureur général sur ces fondements, nous ferions face à un coup d’État en bonne et due forme.

L’UE ne se préoccupe pas vraiment de l’Etat de droit

L’article 7 du Traité sur le fonctionnement de l’UE offre la possibilité aux institutions européennes de lancer des procédures de prévention et de sanction contre des Etats-membres dans lesquels sont constatées des violations de l’Etat de droit. Le mécanisme a notamment été mobilisé par la Commission européenne contre la Hongrie et la Pologne. Dans ce deuxième pays, la politisation de la Cour constitutionnelle et les réformes attentant à l’indépendance de la justice et du Ministère public par le Gouvernement conservateur du PiS étaient en cause.

L’affaiblissement de l’Etat de droit en Espagne du fait de l’offensive socialiste contre l’indépendance de la justice et du noyautage d’institutions indépendantes est contraire aux valeurs de l’Union européenne. Cependant, la présence des socialistes espagnols au sein de la coalition exempte le Gouvernement espagnol des reproches qui sont adressés à la Hongrie et à la Pologne. Les socialistes espagnols ont même été récompensés, comme en témoigne la nomination de Teresa Ribera au très stratégique poste de commissaire à la Concurrence.

Faut-il en conclure que le respect de l’Etat de droit, dont la Commission européenne se gargarise, n’est qu’un instrument politique de Bruxelles contre ses opposants politiques ? Je laisse au lecteur se faire son avis.