La langue française sous le feu du wokisme
Le français serait une langue difficile à apprendre et véhiculerait tant d’inégalités sexistes et identitaires qu’il est urgent, selon certains, de la simplifier. Et de la laisser « s’enrichir » par les langues étrangères et le vocabulaire des jeunes. Selon le linguiste Alain Bentolila, c’est la porte ouverte à l’illettrisme... L’article La langue française sous le feu du wokisme est apparu en premier sur Causeur.
Le français serait une langue difficile à apprendre et véhiculerait tant d’inégalités sexistes et identitaires qu’il est urgent, selon certains, de la simplifier. Et de la laisser « s’enrichir » par les langues étrangères et le vocabulaire des jeunes. Selon le linguiste Alain Bentolila, c’est la porte ouverte à l’illettrisme
Plus d’un jeune français sur cinq, après une dizaine d’années passées dans les murs de l’École de la République, se trouve dans une situation d’insécurité linguistique globale à l’oral comme à l’écrit. Cette insécurité obscurcit durablement son horizon culturel et professionnel. Pour tous ces jeunes gens, la défaite de la langue est aussi la défaite de la pensée. D’incompétence en hypocrisie, de fausse compassion en lâcheté éducative, notre langue commune et notre intelligence collective se sont délitées. Mais s’il faut croire quelques linguistes atterrés et quelques pédagogues égarés, unis dans un commun renoncement, tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien ! Tout va très bien ! Les écarts à la norme n’existeraient pas, ils seraient les marques bienvenues d’une diversité identitaire ; l’illettrisme ne serait qu’une illusion portée par ceux qui veulent exclure les plus fragiles ; ce serait enfin la langue française, par son conservatisme étroit, qui serait cruelle pour les plus fragiles et injuste envers les femmes.
La langue française ne se serait jamais mieux portée !
Des linguistes qui se disent « atterrés » clament que la langue française ne s’est jamais si bien portée et qu’elle s’enrichit tous les jours de mots nouveaux, plus originaux les uns que les autres. Ils feignent d’ignorer qu’une langue n’est en elle-même ni riche ni pauvre, car une langue n’est rien sans ceux qui la parlent. La langue française n’est pas aujourd’hui un « trésor linguistique » libéralement ouvert à tous dans lequel chacun viendrait puiser, avec un égal bonheur et une égale pertinence, les instruments de sa communication. La richesse de notre langue ne se mesure pas au nombre d’entrées nouvelles dans des dictionnaires qui, chaque année, se disputent la palme de la modernité et du jeunisme en rivalisant d’audace pour intégrer – trop précipitamment – des mots aussi nouveaux qu’éphémères. Notre langue, ce sont des hommes et des femmes qui entretiennent avec elle des relations de plus en plus inégales. Ceux qui n’ont connu que promiscuité, banalité et indifférence voient leur horizon de parole limité, leur vocabulaire réduit et leur organisation grammaticale brouillée. Ce sont les « pauvres du langage », impuissants à défendre leurs points de vue, incapables de dénoncer la manipulation, sans défense contre l’arbitraire et l’injustice.
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La faute est une marque identitaire : respectons-la !
Ces mêmes hypocrites en sont venus à dénoncer la désuétude et le conservatisme borné de l’École de la République, installant ainsi l’idée, chez certains élèves et parfois chez certains parents, que les propositions scolaires sont « culturellement incompatibles » avec leurs appartenances communautaires. Ces petites lâchetés ont pour résultat le remplacement du paradigme de l’incompétence (je lis mal ! j’écris encore plus mal ! j’ai du mal à exprimer ma pensée… mais j’aimerais tant m’améliorer), par celui de l’incompatibilité (lire, écrire, s’exprimer ce n’est pas pour moi… mieux vaut y renoncer). L’incapacité de comprendre les mots d’un autre, comme la difficulté de mettre en mot sa pensée pour un autre ont pris ainsi une tout autre signification. Ces insuffisances sont devenues l’image de notre « diversité » sociale et sont conséquemment irréductibles. « Je parle comme je suis », « je comprends ce que je veux », « j’écris comme ça me chante », tels sont aujourd’hui les slogans clamés par ceux dont les propres enfants n’ont que peu de souci à se faire pour leur avenir scolaire et social. À tous ces bien-pensants, uniquement soucieux d’échapper au procès en stigmatisation, je dis que leur coupable complaisance tue les élèves fragiles.
L’illettrisme n’est qu’une illusion : dissipons-la !
Pour être politiquement correct, faudrait-il se contenter de décrire, admiratif et amusé, les astucieuses stratégies de citoyens qui s’échinent à contourner les obstacles quotidiens que leur imposent leurs difficultés de lecture et d’écriture ? Faudrait-il, pour échapper à l’accusation de conservatisme, s’ébahir devant la vivacité et le pittoresque d’une « langue des jeunes » dont l’imprécision enferme plus qu’elle ne libère ? Faudrait-il enfin au nom du droit à la différence (et à l’indifférence) accepter que certains soient privés d’aller au plus loin d’eux-mêmes découvrir l’écrit d’un autre ? Si les hommes et les femmes en situation d’illettrisme ont droit à notre respect et à notre solidarité, l’illettrisme qui rend difficile l’exercice de leur citoyenneté n’est en rien acceptable. La description sociologique – certes utile – de ce phénomène ne lui confère aucune lettre de noblesse. Tous ceux qui entretiennent avec la langue orale et écrite des malentendus douloureux se trouvent vivre plus difficilement que les autres ; ils ont moins de chance de décider de leur destin social ; ils sont plus vulnérables devant des textes sectaires et intégristes.
La langue française est sexiste : corrigeons-la !
Par ignorance et par hypocrisie, certain.e.s féministes de salon ont cru bon de dénoncer les errements d’une langue française dont les structures morphologiques et grammaticales refléteraient, renforceraient et légitimeraient la discrimination dont sont victimes les femmes en France. Ils accusent ainsi les marques de genre – celles qui distinguent les noms masculins des noms féminins (la porte et le portail par exemple) – de manifester, par leur injuste distribution, un inacceptable mépris envers… les femmes. Des règles morphologiques « supporteraient » donc servilement les injustices sexistes et, par leur puissance normative, leur conféreraient une sorte de légitimité académique ; ainsi en est-il du toit qui domine injustement la maison. La réalité est tout autre ! Les marques de genre ont fort peu à voir avec une indication de sexe. Le français possède en fait deux genres morphologiques, l’un est dit masculin, l’autre est dit féminin. Il s’agit bien de marques de genre, permettant d’accorder entre eux les mots, et non pas d’indicateurs de sexe. Voir dans une convention morphologique sans aucune signification un complot machiste manifeste une totale ignorance des faits linguistiques, mais aussi une coupable hypocrisie. J’ai personnellement une conscience aiguë du caractère inadmissible de la discrimination sexuelle. Je trouve absolument insupportable qu’elle sévisse encore aujourd’hui dans la vie politique, professionnelle ou familiale. Mais choisir le terrain linguistique pour mener cette bataille nécessaire, en mélangeant règle grammaticale et marques de sexe, c’est confondre les luttes sociales et le badinage de salon.
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La langue française est dure aux « miséreux »
Afin de ne pas mettre en difficulté les élèves fragiles (ceux notamment présentant une « exogénéité » linguistique et culturelle), il faudrait simplifier l’orthographe et notamment les règles grammaticales telle que la loi « scélérate » de l’accord du participe passé avec le COD antéposé. Ceux-là mêmes dont les propres enfants n’auront aucun souci scolaire, sont ainsi aujourd’hui les premiers à dénoncer l’élitisme et… le caractère « cruel » de l’École de la République. Pour tous les élèves de ce pays, c’est bien l’espoir d’un pouvoir accru sur le monde qui légitimera les efforts qu’ils consentiront pour maîtriser l’orthographe et la grammaire. Ce pouvoir, ils ne le conquerront pas avec une orthographe ratiboisée et une grammaire approximative. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, ce n’est pas à la fragilité linguistique de définir la limitation des ambitions cognitives d’un élève, c’est au contraire la hauteur des ambitions cognitives qu’on lui offre qui l’incitera à se battre pour une meilleure maîtrise linguistique et une culture plus approfondie et libératrice.
Seule une maîtrise plus justement partagée de la langue française pourra permettre à tous les citoyens de notre pays, d’où qu’ils viennent, de ne considérer aucune différence comme infranchissable, aucune divergence comme inexplicable, aucune appartenance comme un ghetto identitaire. Nous devons, donc à tous ceux que l’on accueille, d’où qu’ils viennent, le meilleur de notre langue, afin qu’ils puissent être compris au plus juste de leurs intentions et comprendre avec la plus grande vigilance. Ce n’est donc pas dans le foisonnement de particularismes langagiers, qui stigmatisent plus qu’ils ne distinguent que réside la clé d’une intégration harmonieuse. Tous ceux qui sont accueillis dans notre pays ont droit à une langue commune juste, précise et… créative ; il est de notre devoir de la leur offrir, il est de leur devoir de la chérir.
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