Les repas gratuits n’existent pas (mais en France, c’est l’État qui paie)
Le vote récent de l’Assemblée nationale en faveur du repas à 1 euro pour tous les étudiants que j’évoquais dans mon précédent article est une excellente occasion de rappeler que non seulement “il n’existe pas de repas gratuit”, mais que toute “gratuité” accordée avec un admirable volontarisme empreint de compassion sociale et solidaire par les […]
![Les repas gratuits n’existent pas (mais en France, c’est l’État qui paie)](https://www.contrepoints.org/wp-content/uploads/2025/02/lAssemblee-nationale-photo-AFP-et-leconomiste-liberal-americain-Milton-Friedman.png)
Le vote récent de l’Assemblée nationale en faveur du repas à 1 euro pour tous les étudiants que j’évoquais dans mon précédent article est une excellente occasion de rappeler que non seulement “il n’existe pas de repas gratuit”, mais que toute “gratuité” accordée avec un admirable volontarisme empreint de compassion sociale et solidaire par les pouvoirs publics se solde à plus ou moins long terme par une dégradation manifeste de la qualité du produit ou du service ainsi mis à la disposition du public.
Nos députés, du moins ceux de la gauche, du Rassemblement national et du groupe centriste LIOT, ont donc décidé, contre l’avis du gouvernement, d’ouvrir le repas universitaire à 1 euro, jusqu’alors réservé aux boursiers sur critères sociaux, à tous les étudiants, approuvant ainsi une proposition de loi socialiste visant à “soulager rapidement la précarité alimentaire étudiante”. Pour les non-boursiers, le repas servi dans les restaurants universitaires des Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) passe donc de 3,30 euros, ce qui n’était déjà pas très élevé, à 1 euro, somme on ne peut plus symbolique s’approchant de la “gratuité”.
On ignorait que l’État français, qui peine laborieusement depuis des mois pour boucler un budget 2025 pas trop déficitaire (5,4 % par rapport au PIB quand même), fût en mesure de se livrer à ce genre d’aimable galéjade. Car vous remarquerez qu’il ne s’agit pas ici d’alléger le fardeau alimentaire des plus précaires (c’est déjà inscrit dans les textes) mais d’accorder à tous le régime de la précarité. Autrement dit, les députés qui ont voté ce texte dans les circonstances actuelles de nos comptes publics donnent dans un pauvre misérabilisme larmoyant, et ce faisant, je peux vous garantir que loin de favoriser croissance, emploi et pouvoir d’achat, ils ne réussiront qu’à accentuer le malaise économique du pays à force d’accroître les impôts et la dette.
Il faut dire qu’en France, on aime croire, ou faire semblant de croire, que les politiques sociales mises en place afin d’encourager tel ou tel type de comportement ou soutenir telle ou telle catégorie de population “ne sont pas chères” ou “ne coûtent rien” car “c’est l’État qui paie”, c’est l’État “qui fait l’effort”. Toute ressemblance avec une phraséologie fort prisée de l’ancien président de la République et actuel député PS François Hollande n’est absolument pas fortuite.
En réalité, à quelques exceptions près, l’État n’a jamais rien payé car il n’a jamais tiré de revenus de productions qui lui seraient propres. En revanche, il est en position de force pour extorquer aux citoyens (qui produisent) les fonds nécessaires pour financer tout ce qui passe par la tête de ses représentants, la limite entre le nécessaire, l’utile et le n’importe quoi étant fixée par le résultat aux élections. Et encore ; les rapports nombreux et touffus de la Cour des comptes sont là pour nous montrer que la gabegie institutionnalisée n’est même pas un motif d’échec électoral.
Bref, celui qui fait l’effort, le seul et unique qui fait l’effort, c’est le contribuable d’aujourd’hui (et celui de demain via la dette publique), qu’il soit particulier ou entreprise. S’agissant de ces dernières, ce sont in fine des personnes physiques avec leur casquette de consommateur qui “font l’effort” car les impôts et taxes qui pèsent sur les entreprises sont considérés comme un coût de production de plus qui sera répercuté sur le prix de vente, pour autant que l’état du marché le permette. Si l’ajustement des prix à la hausse n’est pas possible, ce seront les actionnaires, ou les salariés, ou à nouveau les consommateurs via la baisse de la qualité des produits, qui en pâtiront.
En d’autres termes, ceux de Milton Friedman en l’occurrence, “there is no such thing as a free lunch” (il n’y a pas de repas gratuit). Les dépenses de l’État se font toujours aux frais de quelqu’un, le quelqu’un en question étant très concrètement l’ensemble des citoyens d’un pays en tant que contribuables et consommateurs.
Dans l’affaire du repas universitaire à 1 euro, il se trouve que la présidente des Crous n’était guère favorable à la mesure. Elle a immédiatement compris que les structures d’accueil actuelles (personnel, salles de restaurants, cuisines) seraient incapables de faire face à l’afflux des nouveaux étudiants attirés par le faible tarif des repas. Elle craint d’une part que les files d’attente s’allongent jusqu’à atteindre une heure, voire une heure et demie ; et d’autre part que les restaurants ne parviennent pas à produire et à servir le nombre de repas requis. On peut aussi se poser des questions sur la qualité des mets servis à ce prix.
On observe également qu’à partir du moment où un service est gratuit, il n’est plus considéré comme ayant de la valeur tandis qu’un service doté d’un prix significatif est plus facilement perçu comme digne d’être acheté et respecté.
Voici une petite anecdote qui exprime très bien cela. Je l’ai entendue il y a quelques années dans la bouche d’une élue en charge des écoles et des activités périscolaires. Elle racontait combien elle avait été surprise de voir qu’une maman de condition modeste, plutôt éloignée de l’école, était devenue soudain très présente et très attentive au trousseau, aux livres, au matériel scolaire, aux horaires et aux leçons à revoir à la maison dès lors que sa fillette avait rejoint l’école privée, donc payante, du quartier.
Disons que la plupart du temps, la gratuité du service n’inspire au mieux que parfaite indifférence aux bénéficiaires qui estiment qu’ils sont dans leur droit et que le service leur est dû ; et au pire, elle provoque trop souvent une forte augmentation des dégradations et des incivilités.
De la même façon, les agents qui en assurent le fonctionnement se sentent moins liés par des obligations d’amabilité, de serviabilité et de professionnalisme à l’égard des bénéficiaires considérés comme de simples usagers administratifs. La qualité du service se détériore et c’est à ce moment-là que des remarques du style “vous mangez pour rien ou presque, vous voyagez pour rien ou presque, et vous vous permettez de vous plaindre !” commencent à émerger.
Il en résulte une forte augmentation des coûts pour embaucher plus de personnel, assurer les réparations et augmenter les capacités, tandis que les usagers perdent en confort. Nombreux sont ceux qui, de guerre lasse, finissent par déserter le système. Idem dans les transports publics. Et j’aurais tendance à dire, idem à l’hôpital, idem dans l’Éducation nationale.
Idem dans toute la France de la subvention compulsive, finalement, à l’image de ce repas à 1 euro que certains députés, décidément très généreux mais peu regardants sur l’utilisation de l’argent des autres, ont jugé bon d’offrir à tous les étudiants. De là à penser que nous sommes entrés en campagne électorale pour 2027, il n’y a qu’un tout petit pas… et ce n’est pas réjouissant.