Crise au Congo: le Rwanda détient-il la clé?
Le groupe armé M23 s'est emparé la semaine dernière de Goma, capitale régionale du Nord-Kivu, à l'est de la République Démocratique du Congo. On craint désormais l’escalade... L’article Crise au Congo: le Rwanda détient-il la clé? est apparu en premier sur Causeur.
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Le groupe armé M23 s’est emparé la semaine dernière de Goma, capitale régionale du Nord-Kivu, à l’est de la République Démocratique du Congo. On craint désormais l’escalade.
Mardi 28 janvier, l’ambassade de France de Kinshasa était incendiée par des manifestants congolais. Elle ne fut pas la seule. Furent aussi visées les ambassades des États-Unis, de la Belgique, du Kenya et bien évidemment du Rwanda. Ces évènements tirent leur origine d’un conflit civil qui se déroule depuis plusieurs années dans la région du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda dans la région des grands lacs au cœur de l’Afrique continentale.
Candidat à sa réélection à la présidence de la République Démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi réunissait le dimanche 26 janvier ses partisans dans le stade Afia de la ville de Goma. Symbolique, Goma est la capitale du Nord-Kivu. Elle a été prise par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Pour la première fois en onze ans, ces derniers ont réussi à reprendre le contrôle de la ville. L’objectif poursuivi par les membres du M23, composé en majorité de Tutsis, est l’application des accords de paix du 23 mars 2009 conclus entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et la République démocratique du Congo (RDC). Les minorités de l’est de la RDC, largement présentes au sein du CNDP, estiment que les accords de mars n’ont jamais été pleinement respectés et poursuivent donc depuis lors leur rébellion au Nord-Kivu. Ce conflit extrêmement ancien, la Guerre du Kivu ayant débuté à la fin des années 1990, témoigne autant des défaillances de l’Etat congolais que de l’opportunisme de groupes terroristes séparatistes locaux.
La République Démocratique du Congo : un véritable empire central africain
Lors de son élection en janvier 2019, Félix-Antoine Tshisekedi s’était présentécomme l’homme du renouveau et de la pacification à l’est du pays. Sa présidence était la promesse d’une réconciliation large, incarnée par la cohabitation avec le mouvement de l’ex-président Kabila, sur la base du retour de l’ordre et du règlement des « problèmes de l’Est ». L’approche retenue par Kinshasa déboucha notamment, outre la tentative d’une reprise du processus de négociation avec les voisins ougandais et rwandais, sur la proclamation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et l’Ituri en date du 3 mai 2021.
Il faut reconnaître que la situation ne s’est pas du tout arrangée depuis. Le pouvoir accordé aux militaires n’a pas entrainé de progrès pour les civils, toujours coincés entre le « marteau et l’enclume » pour reprendre la triste formule de la chercheuse Clémentine de Montjoye d’Human Rights Watch dans un entretien accordé à L’Express[1]. Des propos qui rappellent d’ailleurs ceux tenus par le Cardinal Ambongo qui a renvoyé dos-à-dos les belligérants : « Premièrement, il y a une cause interne ce qu’on appelle la mauvaise gouvernance de la part des Congolais eux-mêmes parce qu’on peut se demander pourquoi cela n’arrive qu’au Congo et pas ailleurs ? (…) L’autre raison, l’autre cause c’est une sorte des combinaisons d’intérêts économiques, des grandes compagnies pétrolières, forestières, minières qui veulent opérer au Congo mais en se servant parfois des pays voisins, d’où toute la colère actuelle au Congo vis-à-vis du Rwanda. Si je prends la province du Katanga, l’essentiel des mines du Katanga sont aujourd’hui entre les mains des Chinois parce que l’occident à un certain moment s’est retiré au nom de ce qu’on a appelé à l’époque l’Afro pessimisme, l’occident s’est retiré mais les Chinois sont venus, ils ont tout pris. Pour eux, les conditions humaines, les conditions politiques, ils ne s’intéressent pas à ça, seulement prendre les minerais »[2]
Il serait en effet réducteur de ne voir dans le drame humanitaire congolais que la main de voisins avides. Les responsabilités sont multiples. Dans un rapport de l’Ifri daté de décembre 2022, l’expert de la région Thierry Vircoulon décrit un pays en proie au chaos, où le M23, des groupes terroristes comme l’AFC Naanga lié à l’Etat islamique, mais aussi des milices liés au pouvoir central, se taillent la part du lion sur le dos des civils : « À l’intérieur des réseaux de Big Men, le pouvoir se fonde principalement sur la distribution de bénéfices ou l’octroi d’un accès à des opportunités de génération de revenus. Appelés localement les « millionnaires du chaos » ou « les pompiers pyromanes », ces Big Men tirent les ficelles derrière les conflits locaux dans une logique de profit, les amplifient et en perdent souvent le contrôle. Ils sont à l’intersection des intérêts des voisins et des cercles dirigeants de Kinshasa et sont donc la base de cette économie violente qui s’est parfaitement insérée dans la mondialisation ».
Une situation périlleuse pour la France et l’Europe
La France respecte constamment le droit international et les positions de l’ONU en République Démocratique du Congo. Notre ministère des Affaires étrangères a ainsi appelé au respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du Congo dans la province du Kivu, mais aussi proposé une aide humanitaire pour les 500.000 déplacés depuis janvier. Nous n’avons toutefois pas les coudées franches pour une intervention qui ne serait par ailleurs pas souhaitable et qui n’est pas souhaitée sur place. Que des hommes politiques démagogues comme Jean-Luc Mélenchon le proposent est une chose, le faire en est une autre. Sur place, c’est la MINUSCO de l’ONU qui fait office de tampon et qui doit sûrement être renforcée. Il s’agit d’ailleurs de la plus grande mission de paix des Nations Unies, avec un total d’environ 18.000 personnels fin 2021.
La corruption endémique et les défaillances de l’Etat congolais ne sont pas raison sur la dégradation sécuritaire du Kivu. Car au fond, l’absence de résultats vient d’abord d’un « répertoire de solutions usées et d’un profond désintérêt international » qui interdisent « la remise en cause de l’économie de guérilla mortifère qui profite à une minorité », comme l’indique Monsieur Vircoulon. Une phrase qu’illustre parfaitement l’emploi massif de mercenaires roumains menés par l’ancien légionnaire Horatiu Potra, proche de Wagner et du candidat à l’élection présidentielle Georgescu, qui ont été appréhendés à Goma trois jours après la prise de la ville par le M 23.
L’Afrique-du-Sud, pays en tension actuellement menacé par l’administration américaine, entend aussi jouer un rôle régional d’envergure. Néanmoins, les morts de 13 soldats sud-africains dans le Kivu ont montré les limites de ce pays membre du BRICS qui entend soutenir le gouvernement congolais et pourraient freiner ses ambitions. Cyril Ramaphosa pourrait en faire une question de principes. Et si le devenir du continent africain se jouait désormais au Kivu ?
[1] Conflit en RDC : « Les civils sont coincés entre le marteau et l’enclume » – L’Express
[2] Est de la RDC: le Cardinal Ambongo pointe notamment la mauvaise gouvernance des congolais eux-mêmes et les combinaisons d’intérêts économiques se servant des pays voisins à la base de l’instabilité | Actualite.cd
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