François Bayrou: un Créon qui ne veut pas oublier Antigone…
On accuse le Premier ministre d’être flou ? Il vient de démontrer qu’il est plutôt un bon stratège en brouillard maîtrisé... Les députés socialistes ont en effet été convaincus de ne pas voter demain les deux motions de censure déposées par les Insoumis, à la suite du déclenchement de deux 49.3 par M. Bayrou hier... L’article François Bayrou: un Créon qui ne veut pas oublier Antigone… est apparu en premier sur Causeur.
On accuse le Premier ministre d’être flou ? Il vient de démontrer qu’il est plutôt un bon stratège, en brouillard maîtrisé… Les députés socialistes ont en effet été convaincus de ne pas voter demain les deux motions de censure déposées par les Insoumis, à la suite du déclenchement de deux 49.3 par M. Bayrou hier.
Avec quelle sadique volupté, dans les partis – notamment ceux du « bloc central » – ou dans certains médias, dénonce-t-on la méthode de notre Premier ministre en la qualifiant notamment de « floue[1] »!
Ce serait une critique pertinente si elle n’oubliait pas les contraintes politiques et parlementaires que doit affronter François Bayrou et, en même temps, son souci de vérité et d’apaisement. Dès lors que le Premier ministre ne veut lâcher aucun de ces bouts de la chaîne, je vois mal comment sa démarche, sauf à accepter une absence de plénitude, pourrait apparaître comme rectiligne. Le flou dont on la qualifie n’est que la traduction de la volonté obstinée de François Bayrou de rendre gérable un univers dont les composantes défient toute rationalité.
Le Premier ministre est un Créon qui ne veut pas oublier Antigone.
D’abord il convient de le louer pour s’être battu afin d’occuper ce poste prestigieux alors que malgré l’ambition de beaucoup, peu auraient pu en endosser les responsabilités. Cela n’empêche pas la multitude des conseilleurs qui ne sont pas les payeurs de multiplier les injonctions, les avertissements, les « il n’y a qu’à », les « il faut qu’on », toutes ces rodomontades d’autant plus faciles à proférer qu’elles ne risquent à aucun moment de contraindre leurs locuteurs à montrer effectivement ce dont ils sont capables.
Il est également injuste de faire reposer sur le seul François Bayrou le poids d’une situation calamiteuse résultant de la dissolution et dont les conséquences peinent à être atténuées. Dans le monde politique, il n’y a qu’Eric Dupond-Moretti pour féliciter le président de l’avoir faite, et encore, au théâtre !
Des mauvais procès
Ensuite, au lieu d’intenter sans cesse de faux procès au Premier ministre, il aurait mieux valu l’écouter avec attention et ne pas dénaturer sa pensée pour la rendre encore plus blâmable aux yeux de ses adversaires. On feint d’oublier qu’il n’a pas parlé de « submersion migratoire » mais de ce « sentiment » qui n’est que trop évident pour cette majorité de Français à laquelle il a fait allusion. Même si son propos, partant de Mayotte et du droit du sol souhaité par certains, a dépassé ce territoire, il reste qu’user de termes qui sont dans la tête de tout le monde, et pas seulement dans celle du Rassemblement national, relève du droit de M. Bayrou à ne pas faire la fine bouche face à un vocabulaire qui se rapporte à l’immigration et au malaise qu’elle crée sur le plan de l’identité nationale. Acceptable quand elle ne détruit pas l’âme d’un pays, intolérable quand son nombre l’étouffe.
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Par ailleurs, quel étrange reproche que d’imputer au Premier ministre une absence de caporalisme sur ses ministres comme si ce n’était pas au contraire une force (ma seule réserve porte sur Élisabeth Borne, dont à l’évidence la vocation est de mener une lutte contre Gabriel Attal par l’entremise de son ministère…) que de laisser se développer la parole et les propositions de ministres qui, sans jamais trahir une solidarité fondamentale, apportent au gouvernement la richesse de personnalités auxquelles on a laissé le droit d’être libres. Qui de bonne foi pourrait soutenir que dans la sphère régalienne l’inventivité d’un Bruno Retailleau, accordée au pragmatisme actif d’un Gérald Darmanin, ne constituent pas une formidable nouveauté dont l’idée revient au Premier ministre ?
RN apaisé, rapprochement réussi avec les socialistes
François Bayrou a su tactiquement tirer les leçons de l’échec gouvernemental de l’estimable Michel Barnier. Tout en ayant adopté à l’égard du Rassemblement national une attitude de courtoisie républicaine et parfois de courage personnel, François Bayrou ne pouvait pas accomplir autre chose qu’un rapprochement avec des socialistes qui n’ont été véritablement, pour leurs adversaires de l’autre camp, des pestiférés qu’à cause de leur soumission trop longue à LFI, à Jean-Luc Mélenchon, à son obsession de tout conflictualiser et de constituer la provocation et l’outrance comme un langage ordinaire.
Ce que François Bayrou a mis en œuvre représentait trop son aspiration à une politique apaisée, de compromis et de conciliation, pour qu’il se privât de l’opportunité de la concrétiser malgré la mauvaise volonté et le caractère de Matamore des négociateurs socialistes (on est obligé de vanter Lionel Jospin et François Hollande !) qui cherchent à faire croire qu’ils ont arraché de haute lutte ce que le bon sens « centriste » leur avait concédé de bonne grâce avec le ministre Bruno Lombard – l’un des leurs sur le plan idéologique d’ailleurs !
Le Premier ministre a annoncé dans La Tribune Dimanche[2] que le 3 février il ferait usage à deux reprises du 49-3. Le bureau politique du parti socialiste qui heureusement continue dans sa voie autonome a décidé de ne pas voter la motion de censure qui sera déposée par LFI. Je ne doute pas qu’il ne se sentira pas intimidé par l’accusation de Manuel Bompard l’étiquetant, avec cette décision, comme soutien du macronisme !
Cette sagesse politique ne complaira pas à ceux qui songent plus à 2027 qu’au présent de la France. Priorisant l’obligation de responsabilité, elle sera une pierre de plus dans la restauration d’une vie parlementaire, susceptible de redonner un peu confiance à trop de citoyens lassés.
Pour ma part je veux croire que les Français, derrière les sarcasmes superficiels, saluent ce Premier ministre qui à sa manière a mis ses mains dans la glaise sans abandonner ses aspirations de toujours.
Puisque François Bayrou est un Créon qui n’oublie pas Antigone.
[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/02/03/le-flou-de-la-methode-bayrou-seme-le-trouble-jusque-dans-le-bloc-central_6528805_823448.html
[2] https://www.latribune.fr/la-tribune-dimanche/politique/francois-bayrou-lundi-j-engagerai-la-responsabilite-du-gouvernement-sur-le-budget-1017339.html
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