Industries chimiques, alimentaires, pharmaceutiques : se passer de la chimie du pétrole avec la fermentation extractive

La fermentation pourrait être une bonne approche pour passer de la chimie pétrosourcée vers celle basée sur la biologie.

Fév 5, 2025 - 17:29
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Industries chimiques, alimentaires, pharmaceutiques : se passer de la chimie du pétrole avec la fermentation extractive

Dans un contexte de transition écologique, les secteurs industriels sont confrontés au défi d’explorer de nouvelles méthodes de transformation pour valoriser les ressources renouvelables, en utilisant moins d’intrants (énergie, eau ou matières premières) et en générant moins de déchets.

Parmi les voies possibles de transition de la chimie pétrosourcée à la biosourcée, la fermentation s’avère particulièrement prometteuse pour répondre aux besoins en produits chimiques de commodité (marché de masse, faible coût) et de produits chimiques de spécialité (marché de niche à plus grande valeur ajoutée).


Les microorganismes (bactéries, levures et champignons) sont les outils biotechnologiques de la fermentation ; ils transforment les matières premières en produits d’intérêt. Penicillium est un champignon filamenteux surtout connu comme étant le producteur du premier antibiotique, la pénicilline. La production d’insuline par des souches bactériennes d’Escherichia coli est un autre exemple notable. Pour maîtriser le procédé de fermentation, il faut sélectionner les microorganismes qui mettent en œuvre des voies métaboliques sélectives afin de produire les molécules d’intérêt et de minimiser les autres molécules co-produites.

Il convient également d’optimiser la croissance des microorganismes et la production des molécules désirées dans le bioréacteur, cuve dans laquelle tout se passe, en ajustant notamment la composition, la température et la teneur en oxygène dissous du milieu de fermentation. Cependant, il arrive que la molécule d’intérêt ou une autre molécule produite en même temps soit toxique pour le microorganisme qui la produit. Ainsi l’accumulation d’éthanol dans le bioréacteur peut inhiber le métabolisme de la levure qui le produit. Cette toxicité diminue les performances de la fermentation. Une manière de pallier cette toxicité est d’extraire la molécule toxique du bioréacteur pendant le déroulement de la fermentation. C’est le principe de la fermentation extractive qui vise à lever ces limitations et donc à intensifier la production de molécules d’intérêt.

La production de la molécule d’intérêt est maximisée par son extraction continue du bioréacteur. La fermentation extractive bénéficie également du recyclage du milieu de fermentation qui est réinjecté dans le bioréacteur. Silÿam Illustration, Fourni par l'auteur

Coupler fermentation et extraction exige de choisir le principe et la technologie d’extraction adaptés à ce couplage et d’optimiser les conditions de l’extraction pour maximiser les performances globales de la fermentation extractive. Le but étant d’obtenir une quantité maximale du produit désiré.

Une technologie innovante en biotechnologie industrielle

La fermentation extractive est mise en avant pour la production de molécules comme les acides organiques ou les composés d’arômes. C’est une technologie innovante en biotechnologie industrielle.

Les acides carboxyliques occupent une place importante parmi les molécules biosourcées produites par fermentation. Ils alimentent un large éventail d’applications dans les domaines alimentaire, cosmétique, pharmaceutique, textile et chimique, aux niveaux européen et mondial. Un acide emblématique est l’acide acétylsalicylique, plus connu sous le nom d’aspirine. Un autre exemple est l’acide lactique, produit par fermentation et utilisé en tant qu’acidifiant et exhausteur de goût.

De nouveaux procédés de fermentation sont en développement pour répondre à la demande croissante de production de molécules d’intérêt biosourcées. C’est le cas de l’acide 3-hydroxypropionique, ou acide 3-HP. Cet acide a la particularité d’être à la fois un acide et un alcool. Cette particularité facilite sa transformation en une multitude d’autres composés d’intérêt ; c’est pourquoi nous disons que l’acide 3-HP est une molécule plate-forme, ou synthon. Pour produire l’acide 3-HP, les bactéries acétiques présentent une fonctionnalité intéressante : leur capacité à oxyder les alcools en acides organiques. Cela leur permet de bioconvertir le 1,3 propanediol en acide 3-HP.

Nos travaux de recherche au sein de l’équipe « Procédés microbiologiques, stabilisation, séparation » de l’UMR SayFood ont permis d’obtenir une oxydation sélective de cet alcool en acide 3-HP avec un rendement de 100 % au cours de la croissance de la souche bactérienne Acetobacter cerevisae dans un milieu contenant du glycérol comme source de carbone.

Coupler extraction et fermentation

Notons au passage que ce résultat est d’autant plus porteur que le glycérol est un coproduit du procédé industriel de fabrication du biodiesel. Lors de la fermentation, l’accumulation de l’acide 3-HP engendre une acidification du milieu dans lequel se développe la bactérie. Cette acidification ainsi que l’accumulation d’un intermédiaire métabolique de la biosynthèse de l’acide 3-HP inhibent fortement le métabolisme de la bactérie Acetobacter cerevisae et donc la production d’acide 3-HP. Pour limiter ces inhibitions, nous avons étudié la mise en place d’un système d’extraction de l’acide 3-HP en couplage à la fermentation. Non seulement la bactérie continue de se développer normalement, mais l’extraction favorise également le métabolisme microbien vers la production d’acide 3-HP. Nous avons ainsi développé l’extraction réactive avec une membrane afin de récupérer sélectivement la totalité de l’acide produit. En parallèle, une seconde membrane est destinée à régénérer la phase extractante du bioréacteur pour la recycler.

Système de fermentation extractive utilisant un bioréacteur et un contacteur membranaire.
Système de fermentation extractive utilisant un bioréacteur et un contacteur membranaire. Fourni par l'auteur

D’autres procédés de fermentation extractive ont été validés pour produire des composés organiques volatils (COV). D’une grande diversité, ces COV sont largement présents dans les industries chimiques, alimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques. Ces composés appartiennent à plusieurs familles chimiques (alcools, esters, éther, aldéhydes, cétones, acides carboxyliques, etc.) et offrent un large spectre de propriétés fonctionnelles. Certains de ces COV ont une haute valeur ajoutée dans le secteur des arômes et des parfums (jusqu’à plusieurs milliers d’euros/L). Les molécules produites par voie biotechnologique sont commercialement compétitives, même si leurs coûts de revient sont 10 à 100 fois supérieurs à ceux de leurs homologues synthétiques du fait de l’allégation « naturelle » de plus en plus demandée.

Nous étudions la fermentation extractive de COV d’intérêt comme le 2-phényléthanol – utilisé comme conservateur dans les produits pharmaceutiques et la parfumerie du fait de son odeur de rose – et l’acétate d’éthyle – solvant à l’odeur caractéristique fruitée utilisé comme solvant pour les vernis, les produits de nettoyage à sec. Ces composés peuvent être produits par une diversité de microorganismes, comme les levures qui sont capables d’assimiler un large spectre de substrats (cellobiose, hydrolysats d’hémicelluloses, maltose, mélasses de sucrerie, co-produits de l’industrie laitière, etc.). Au regard de la production de COV par voie microbienne, les questions relatives à leur toxicité pour les cellules mettent là aussi en avant le couplage de l’extraction et de la fermentation comme une stratégie innovante pour intensifier la bioproduction. Du fait de leur caractère hydrophobe et volatil, les COV peuvent être extraits par pervaporation – un procédé utilisant des membranes organo-sélectives et qui se prête particulièrement bien au couplage avec la fermentation.

Les molécules volatiles peuvent être extraits en continu pendant la fermentation grâce à la pervaporation en utilisant une membrane organo-sélective. Fourni par l'auteur

La demande mondiale croissante de produits biosourcés va accélérer le développement de la fermentation à l’échelle industrielle. Pour que les procédés de fermentation soient robustes à cette échelle, ils doivent être intensifiés et combinés avec d’autres procédés de pré/post-traitement, au sein d’une approche d’optimisation couvrant les performances techniques, économiques et environnementales. Ces procédés pourront bénéficier de la mise en œuvre de la fermentation extractive. L’objectif est ici de développer des innovations qui répondent aux besoins sociétaux, et qui soutiennent le développement d’une bio-économie circulaire et durable.The Conversation

Marwen MOUSSA a reçu des financements de l'ANR.