Vote du budget : « Bayrou évite la censure car il est inoffensif, on lui laisse juste l’intérim »
Deux motions de censure, déposées par LFI contre le gouvernement Bayrou, sont examinées mercredi. Le PS et le RS refusent de s’y associer. Pourquoi ces deux partis ont-ils changé de stratégie ?
Deux motions de censure, déposées par LFI contre le gouvernement Bayrou, seront examinées mercredi. Elles n’ont aucune chance d’aboutir, le Parti socialiste et le Rassemblement national refusant de s’y associer. Le budget proposé par François Bayrou devrait donc être adopté alors qu’il est proche de celui de Michel Barnier, qui, lui, avait été censuré. Comment comprendre ce retournement de situation ? Entretien avec le politiste Thomas Ehrhard.
Le gouvernement de François Bayrou ne devrait pas être censuré mercredi. Quelles sont les grandes orientations de son budget pour lequel il a engagé la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale ?
Thomas Ehrhard : Le budget proposé par François Bayrou ressemble à celui de Michel Barnier. Il s’agit d’une réduction des dépenses et d’un objectif de déficit public à 5,4 % du PIB en 2025, répondant aux directives fixées par l’Union européenne. Finalement, il n’y a pas de différence de nature entre les deux budgets.
Si sur le fond les budgets sont les mêmes, comment expliquer qu’il n’y ait pas de censure cette fois-ci ?
T.E. : La séquence politique d’aujourd’hui est dépendante de ce qui s’est passé au mois de décembre. Après la censure du gouvernement de Michel Barnier, le Rassemblent national et le Parti socialiste ont considéré qu’une deuxième censure était inopportune. On a vu que des négociations ont eu lieu entre le Parti socialiste et François Bayrou, alors qu’en décembre, c’était plutôt entre Michel Barnier et le Rassemblement national.
Les socialistes ont cherché à se présenter comme responsables en répétant qu’il était dans l’intérêt de la France d’avoir un budget pour 2025, qu’il fallait obtenir quelques petites mesures et être dans le compromis plutôt que de rester dans une logique d’opposition radicale au gouvernement, à l’instar de La France insoumise.
Ce choix n’est pas anodin, car il signe une distinction par rapport aux ex-partenaires du Nouveau Front populaire. Cette volonté d’apparaître comme un parti « responsable » explique l’absence de censure.
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Mais pourquoi cela n’a pas été le cas avec Michel Barnier ?
T.E. : Il n’y a pas eu de discussions du PS avec Michel Barnier, ce qui l’a contraint à négocier avec le Rassemblement national. Le PS et le Nouveau Front populaire (NFP) avaient annoncé qu’ils censureraient de toute façon, car ils considéraient ce gouvernement comme illégitime après les législatives où le NFP était arrivé en tête. Aujourd’hui, le cadrage médiatique et politique relatif à l’illégitimité n’est plus d’actualité, les socialistes ont donc changé leur approche du sujet.
Pourquoi ce changement ? Après la chute de Barnier, la plupart des papiers journalistiques affirmaient que, sans budget, on sautait dans l’inconnu. On a parlé de « shutdown à la française », de ne plus pouvoir payer les fonctionnaires, des cartes vitales qui ne fonctionneraient plus. Tout cela était faux.
Un projet de loi de finances spécial a été voté en deux jours et, pour les Français, la situation est exactement la même aujourd’hui qu’en décembre. Mais ces discours ont imposé l’idée de risque pour la France, de danger, de gravité. Ces marqueurs ont incité le Parti socialiste à changer de ligne en recherchant la stabilité institutionnelle.
François Hollande semble jouer un rôle de plus en plus important, est-il est en train de se reconstruire un statut en vue des prochaines présidentielles ?
T.E. : Le Parti socialiste a clairement changé. Il se distingue de ses ex-alliés du NFP. François Hollande et ses partisans au sein du PS ont réussi à faire passer cette position minoritaire à une position majoritaire au sein du groupe socialiste. Cette tendance a toujours existé, mais elle s’est imposée, ce qui met en évidence le rôle joué par François Hollande.
Ce dernier bénéficie de la séquence de censure du gouvernement Barnier, qui pousse le PS à se recentrer. Il profite aussi des défaites de La France insoumise, dont les sondages sont particulièrement mauvais et qui vient d’essuyer un échec aux municipales à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne).
Pourquoi le RN ne censure pas Bayrou alors qu’il a censuré Barnier sur un projet de budget similaire ? Quelle est la logique ?
T.E. : Le RN n’a quasiment pas discuté avec François Bayrou : il s’est retiré du jeu des négociations. Les socialistes ont pris la place du RN dans cette séquence. Or, le vote de la censure de Michel Barnier a fait apparaître le RN comme un parti d’opposition qui ne se souciait pas de l’intérêt de la France et qui était dans des jeux politiciens. Cette séquence s’est révélée assez négative dans l’opinion, cassant l’idée d’un RN « dédiabolisé » et responsable que Marine Le Pen a mis des années à installer. Donc, on a assisté à un changement de cap : désormais, le RN affirme que le budget ne le satisfait pas, mais joue la responsabilité politique, l’intérêt de la France. Il s’agit d’apparaître comme un parti de gouvernement.
Mais le RN était en position de force avec Barnier. Désormais, ils semblent moins forts. Comment comprendre cette erreur de la censure de Barnier. Le procès de Marine Le Pen a-t-il pu jouer un rôle ?
T.E. : Il est possible que la décision se soit jouée sur un coup de chaud de Marine Le Pen qui, sortant de son procès, dit : « Allez, il dégage ! » Ensuite, le RN est tiraillé, car son électorat veut censurer les gouvernements alors que le cadrage médiatique pousse ses dirigeants à apparaître comme responsables en vue de 2027.
Est-ce que François Bayrou réalise une bonne opération ? Comment voyez-vous la suite ?
T.E : La personne de François Bayrou n’importe pas beaucoup : personne ne comprend quoi que ce soit à sa politique et il ne fait que des mécontents. Il n’y a pas un député qui est d’accord avec ce budget, pas un groupe politique qui soutienne ouvertement le projet, à part le Modem. Personne ne soutient François Bayrou : tout le monde considère qu’il est là pour faire l’intérim jusqu’à la prochaine dissolution et la prochaine censure.
N’oublions pas que le Modem, c’était deux députés en 2012 et que, par un coup du sort monumental en 2017 et une alliance avec Emmanuel Macron, ils ont obtenu plus de députés qu’ils n’en ont jamais eu sous la Ve République. Désormais, ils sont 36, cela reste très faible.
Il y a un acteur dont on ne parle plus, c’est Emmanuel Macron…
T.E. : Effectivement, ce matin, je lisais l’agenda du président de la République, et j’ai vu qu’il s’est occupé de… la rénovation du Louvre. C’est terrible, il en est réduit en gros à faire des inaugurations. Ce qui est fou, c’est la vitesse à laquelle s’est produite la chute.
En observant la disparition du pouvoir d’Emmanuel Macron doit-on conclure à une évolution majeure des institutions ?
T.E. : Non, rien ne change dans le fond. Cette séquence est très particulière. Nous n’avons pas basculé dans une logique parlementaire : le Parlement est quasiment à l’arrêt, aucun texte n’est voté depuis le mois de novembre. Le rôle du président de la République est amoindri, mais tout simplement parce qu’on a un président qui n’a plus de parti, plus de troupes. Toute la logique de la Vᵉ République depuis 1958, c’est d’avoir une présidentialisation des partis. C’est parce qu’un homme dominait un parti qui arrivait au pouvoir, puis qu’il dispatchait les hommes de son parti dans les institutions. Cette logique de présidentialisation, tous les acteurs l’ont conservée : Édouard Philippe, Marine Le Pen, Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, Jean-Luc Mélenchon, François Hollande. La logique de présidentialisation existe toujours et continue de dominer la vie politique. La mise à l’écart de Macron le prouve, car, sans parti, il ne peut plus rien faire.
Propos recueillis par David Bornstein
Thomas Ehrhard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.